Drague et racisme
Monsieur Tt soulevait récemment une question relativement brûlante pour qui aborde le sujet de l'abordage des sujettes* à Paris. La sujette est un joli petit poisson d'eau douce, de la même famille que l'ablette ou l'objette. Pratique à faire sauter à la poêle pour soi, la sujette se déguste aussi crue en soi. Attention néanmoins, une consommation excessive de ce petit poisson peut entraîner des troubles de la perception et du jugement : on parle alors de sujettivisme. Mais nous nous éloignons du sujet. Monsieur Tt soulevait donc une question brûlante, celle des relations troubles entre drague, haine de la drague, haine de l'autre et même carrément racisme.
Question d'autant plus brûlante qu'elle brûle, pour ainsi dire, aux deux bouts. Autrement dit, on ne sait pas par où la prendre sans se crâmer les doigts. Je saisis mes mots avec une pincette et je les dépose en tremblant à l'heure où j'écris ces lignes, de peur, une fois de plus, que mon propos soit mal compris, tant les esprits sont échauffés sur ces sujets.
A un bout... A un bout, la souris est confrontée aux préjugés hélas très ordinaires de certains de ses interlocuteurs. Certains qui, lorsque la souris, le soir au coin du feu, raconte une histoire de dragueur à la noix, soupçonnent immédiatement quelque sombre raison au fond de l'affaire: "Mais ton dragueur, là... Allez... Il était un peu... Enfin, quoi... Pas bien Français, non? Un peu bronzé, quoi?" Des gens pour qui, en gros, les gros lourds des trottoirs parisiens ne peuvent être qu'arabes - ou sinon, c'est qu'ils sont noirs. Honnêtement, je n'ai pas fait de statistiques, mais c'est complètement faux. Il y a, dans ces pages, des nationalités diverses et variées, et largement autant de "français de souche" ou de fervents catholiques que de français de la 2e génération ou de musulmans non pratiquants.
C'est bizarre, d'ailleurs, ce préjugé raciste envers les dragueurs à la noix. Comme si la mufflerie ne faisait pas partie, elle aussi, de l'héritage culturel français. Comme si ceux qui draguent ma femme, veulent me piquer ma copine ou importunent les demoiselles de ma connaissance étaient toujours forcément "les autres". Assimiler drague à la noix et immigration, c'est un peu comme assimiler immigration et chômage, immigration et criminalité. Tout le monde sait bien que les crimes et le chômage n'existaient pas, quand on était encore "entre nous", non? Ah non? Bon. Alors certes, il y a des spécialités locales, des cultures différentes de la drague. Mais honnêtement, entre la grossièreté autosatisfaite du dragueur à accent parigot et l'inquiétant chuchotement du dragueur à accent du 9-3... Mon dieu, on ne sait que choisir! Je n'arrive pas à dire lequel me déplaît le plus.
Donc, pas plus que tous les dragueurs à la noix ne sont noirs ou arabes, réciproquement, tous les noirs ou arabes ne sont pas des dragueurs à la noix, évidemment. Sauf que certains le sont. Et c'est là que le problème se corse.
A l'autre bout... Une des caractéristiques universelles du dragueur à la noix, c'est qu'une fois que sa proie lui échappe, il ne manque jamais de l'insulter. Avec talent et incisives. Le dragueur à la noix sait comment faire mal. C'est même sa principale arme de nuisance : puisqu'il n'a pas plu à cette fille, lui déplaire le plus possible, lui pourrir sa journée pour avoir au moins gagné la sienne. C'est une victoire comme une autre, que Sade n'aurait pas reniée : quand on ne peut pas faire crier une jeune fille de plaisir, autant la faire crier de souffrance.
Le racisme vient ici jouer un rôle assez tordu, ou plutôt l'accusation de racisme. Le dragueur blanc utilisera n'importe quelle insulte, de préférence sexiste, pour rabaisser celle qui n'a pas répondu à ses avances ; il mettra en doute ses capacités orgasmiques, sa sociabilité, ses chances de rencontrer l'amour, sa beauté, sa confiance en elle, sa bonne foi même. Pour le dragueur noir ou arabe, l'insulte est toute trouvée : plutôt que de traiter la jeune fille de pute ou de mal baisée, "raciste", ça claque, non? "Sale pute de raciste", encore mieux, n'est-ce pas ? Pourquoi se priver.
Je ne nie absolument pas la bonne foi qu'il peut y avoir au fond. Qu'un homme puisse être réellement persuadé qu'on le refuse parce qu'il est noir, et non parce qu'il est lourd ou parce qu'il est impoli, et furieux à cause de cela, c'est tout à fait possible. C'était sans doute le cas ici, par exemple. De même que les autres dragueurs à la noix sont honnêtement persuadés que toutes les femmes sont à la fois des putes et des mal baisées.
Ce qui fait de cet homme un dragueur à la noix, c'est qu'il suppose a priori que la femme aurait dû lui céder, qu'il la considère comme acquise, à prendre, qu'il n'envisage même pas sa liberté à elle de le choisir ou non. Et de sa déception, plutôt que la considérer comme liée à une rencontre ponctuelle entre deux personnes, il fait une généralité. Forcément, si elle me refuse, moi qui suis un homme, c'est qu'elle n'aime pas les hommes : mal baisée. Si elle me refuse, moi qui ai la peau plus foncée, c'est qu'elle n'aime pas les hommes à la peau plus foncée : raciste.
Plutôt que se demander ce qui, chez lui, a vraiment déplu, le dragueur à la noix stigmatise l'autre pour se rassurer lui-même.
Et c'est là que ça devient drôle, enfin, si on veut. Que fait le dragueur à la noix qui suppose sa proie d'être raciste?
Soit il se comporte en dragueur à la noix générique, et la traite de mal baisée.
Insulte sexiste, c'est-à-dire réduisant l'autre à sa seule génitalité.
Soit, et c'est le plus fréquent, il modèle sa réponse sur le comportement qu'il a supposé chez l'autre, et la traite de sale Française.
Insulte raciste, c'est-à-dire réduisant l'autre à sa seule appartenance ethnique.
Autrement dit, dans un cas comme dans l'autre, le dragueur à la noix est prêt à bondir pour, la minute d'après, faire lui-même en vrai ce dont il vous accuse à tort.
Non, décidément, on ne prendra pas de bonnes leçons de tolérance chez les dragueurs à la noix.
Question d'autant plus brûlante qu'elle brûle, pour ainsi dire, aux deux bouts. Autrement dit, on ne sait pas par où la prendre sans se crâmer les doigts. Je saisis mes mots avec une pincette et je les dépose en tremblant à l'heure où j'écris ces lignes, de peur, une fois de plus, que mon propos soit mal compris, tant les esprits sont échauffés sur ces sujets.
A un bout... A un bout, la souris est confrontée aux préjugés hélas très ordinaires de certains de ses interlocuteurs. Certains qui, lorsque la souris, le soir au coin du feu, raconte une histoire de dragueur à la noix, soupçonnent immédiatement quelque sombre raison au fond de l'affaire: "Mais ton dragueur, là... Allez... Il était un peu... Enfin, quoi... Pas bien Français, non? Un peu bronzé, quoi?" Des gens pour qui, en gros, les gros lourds des trottoirs parisiens ne peuvent être qu'arabes - ou sinon, c'est qu'ils sont noirs. Honnêtement, je n'ai pas fait de statistiques, mais c'est complètement faux. Il y a, dans ces pages, des nationalités diverses et variées, et largement autant de "français de souche" ou de fervents catholiques que de français de la 2e génération ou de musulmans non pratiquants.
C'est bizarre, d'ailleurs, ce préjugé raciste envers les dragueurs à la noix. Comme si la mufflerie ne faisait pas partie, elle aussi, de l'héritage culturel français. Comme si ceux qui draguent ma femme, veulent me piquer ma copine ou importunent les demoiselles de ma connaissance étaient toujours forcément "les autres". Assimiler drague à la noix et immigration, c'est un peu comme assimiler immigration et chômage, immigration et criminalité. Tout le monde sait bien que les crimes et le chômage n'existaient pas, quand on était encore "entre nous", non? Ah non? Bon. Alors certes, il y a des spécialités locales, des cultures différentes de la drague. Mais honnêtement, entre la grossièreté autosatisfaite du dragueur à accent parigot et l'inquiétant chuchotement du dragueur à accent du 9-3... Mon dieu, on ne sait que choisir! Je n'arrive pas à dire lequel me déplaît le plus.
Donc, pas plus que tous les dragueurs à la noix ne sont noirs ou arabes, réciproquement, tous les noirs ou arabes ne sont pas des dragueurs à la noix, évidemment. Sauf que certains le sont. Et c'est là que le problème se corse.
A l'autre bout... Une des caractéristiques universelles du dragueur à la noix, c'est qu'une fois que sa proie lui échappe, il ne manque jamais de l'insulter. Avec talent et incisives. Le dragueur à la noix sait comment faire mal. C'est même sa principale arme de nuisance : puisqu'il n'a pas plu à cette fille, lui déplaire le plus possible, lui pourrir sa journée pour avoir au moins gagné la sienne. C'est une victoire comme une autre, que Sade n'aurait pas reniée : quand on ne peut pas faire crier une jeune fille de plaisir, autant la faire crier de souffrance.
Le racisme vient ici jouer un rôle assez tordu, ou plutôt l'accusation de racisme. Le dragueur blanc utilisera n'importe quelle insulte, de préférence sexiste, pour rabaisser celle qui n'a pas répondu à ses avances ; il mettra en doute ses capacités orgasmiques, sa sociabilité, ses chances de rencontrer l'amour, sa beauté, sa confiance en elle, sa bonne foi même. Pour le dragueur noir ou arabe, l'insulte est toute trouvée : plutôt que de traiter la jeune fille de pute ou de mal baisée, "raciste", ça claque, non? "Sale pute de raciste", encore mieux, n'est-ce pas ? Pourquoi se priver.
Je ne nie absolument pas la bonne foi qu'il peut y avoir au fond. Qu'un homme puisse être réellement persuadé qu'on le refuse parce qu'il est noir, et non parce qu'il est lourd ou parce qu'il est impoli, et furieux à cause de cela, c'est tout à fait possible. C'était sans doute le cas ici, par exemple. De même que les autres dragueurs à la noix sont honnêtement persuadés que toutes les femmes sont à la fois des putes et des mal baisées.
Ce qui fait de cet homme un dragueur à la noix, c'est qu'il suppose a priori que la femme aurait dû lui céder, qu'il la considère comme acquise, à prendre, qu'il n'envisage même pas sa liberté à elle de le choisir ou non. Et de sa déception, plutôt que la considérer comme liée à une rencontre ponctuelle entre deux personnes, il fait une généralité. Forcément, si elle me refuse, moi qui suis un homme, c'est qu'elle n'aime pas les hommes : mal baisée. Si elle me refuse, moi qui ai la peau plus foncée, c'est qu'elle n'aime pas les hommes à la peau plus foncée : raciste.
Plutôt que se demander ce qui, chez lui, a vraiment déplu, le dragueur à la noix stigmatise l'autre pour se rassurer lui-même.
Et c'est là que ça devient drôle, enfin, si on veut. Que fait le dragueur à la noix qui suppose sa proie d'être raciste?
Soit il se comporte en dragueur à la noix générique, et la traite de mal baisée.
Insulte sexiste, c'est-à-dire réduisant l'autre à sa seule génitalité.
Soit, et c'est le plus fréquent, il modèle sa réponse sur le comportement qu'il a supposé chez l'autre, et la traite de sale Française.
Insulte raciste, c'est-à-dire réduisant l'autre à sa seule appartenance ethnique.
Autrement dit, dans un cas comme dans l'autre, le dragueur à la noix est prêt à bondir pour, la minute d'après, faire lui-même en vrai ce dont il vous accuse à tort.
Non, décidément, on ne prendra pas de bonnes leçons de tolérance chez les dragueurs à la noix.