Ronsard démasqué - Mignonne, allons voir...
Le dragueur à la noix, une espèce bien française, et qui remonte à la plus haute antiquité. Témoin, cette ode de Ronsard que tous les marmots apprennent à l’école, sans doute pour les initier dès le plus jeune âge aux techniques de pointe en matière de drague à la noix, et oui, car l’Education Nationale est bien intentionnée…
Ronsard donc, outre les plus fines ressources poétiques du XVIe siècle, mobilise les meilleurs ficelles du dragueur intemporel. Il n’y a qu’à lire.
D’abord, la proposition malhonnête :
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit desclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
Aucun dragueur à la noix ne manquera de commencer, en abordant une jeune fille, par lui proposer d’aller prendre un verre, faire connaissance, voir un film, ou voir si la rose, étant bien entendu qu’il n’est en réalité question de rien de tout ça.
Evidemment, cette proposition se doit de s’accompagner de quelques arguments :
A point perdu ceste vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.
Alors là, chapeau. Je dois dire que c’est une manière particulièrement originale de dire « Vous êtes charmante mademoiselle » ou encore « T’es bonne ». Le dragueur à la noix digne de ce nom sait se mettre en quatre pour flatter la vanité de l’oiselle et la faire se sentir unique, quand bien même elle serait la quarantième de la journée à qui il ressert son baratin – la preuve : combien êtes-vous à avoir lu ce poème depuis qu’il a été écrit ? Hein ? Et n’est-il pas toujours aussi convaincant ?
C’est alors qu’intervient tout l’art du dragueur à la noix. Tout en flattant la demoiselle, la mettre en comparaison avec une autre beauté que l’on dénigre allègrement :
Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautez laissé cheoir !
Ô vrayment marastre Nature,
Puis qu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
L’effet est double. D’une part, le dragueur à la noix se met à l’abri de l’accusation de goujaterie, puisqu’il ne dit pas directement à la demoiselle qu’elle n’est pas si bien que ça. D’autre part, il crée chez elle une légère mortification et un sentiment d’incertitude de soi : elle doit bien sentir qu’elle est face à un homme qui ne se laisse pas impressionner, un homme qui pourrait la critiquer elle-même au besoin, bref, qu’elle n’est pas en position de force.
Une fois la jeune fille mise en position d’infériorité, reste à recueillir les fruits de ce travail de sape de son orgueil : c’est le moment de réitérer les propositions malhonnêtes, qu’elle sera alors bien plus à même d’entendre, et même de trouver généreuses :
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse
Puis rebondir enfin sur la conclusion légitime sans laquelle aucune drague à la noix ne serait ce qu’elle est, le coup de pied de l’âne :
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.
Oui, car tout de même, chères oiselles, on n’est pas là pour flatter votre ego ; s'agirait pas de vous jeter des fleurs, non plus. Tout dragueur à la noix se doit donc de cracher en fin de compte sur celle qu’il vient d’aborder, de trouver la petite insulte mesquine qui la mortifiera, pour lui faire sentir la vanité des vanités.
Visiblement, du temps de Ronsard, on pensait déjà que la meilleure façon de mettre une femme dans son lit était de la traiter de future vieille fille fripée et aigrie. Une longue tradition, en somme…