Le dragueur des beaux quartiers
La scène se passe sur un quai de métro. Mais que diable, n'avez-vous donc jamais été sensible au romantisme débridé des quais du métro? Un joli coucher de soleil se reflétant sur la puissante poésie des poutrelles d'acier (oui, c'était une station aérienne), le chant des rames sur les rails chauffés à blanc, le doux roucoulement des pigeons nichés au-dessus des voies... Peut-on rêver lieu plus propice à la rêverie galante ?
Et justement, il était là. Il ne payait pourtant pas de mine, au départ, avec son look décontracté-mais-cher de minet du XVIe arrondissement, mocassins, pantalon de toile, polo de rugby, ses cheveux pas remarquables et son mètre soixante-dix qu'il arrangeait en se tenant complètement voûté. Il était là et il portait son oeil sur moi.
A distance respectueuse, histoire d'avoir l'air pas trop intéressé, et en parlant négligemment, il laissa soudain tomber en guise d'entrée en matière un : "Tu connais Deauville ?"
Euh, oui, vaguement, de nom, comme ça...
"Non, parce que je vais y aller en week-end, et je cherche une demoiselle pour m'accompagner."
ça au moins c'est direct comme approche! Pfiouuu! Quel galant homme! Ouvrir les hostilités avec un week-end à Deauville, ça ne se refuse presque pas! En voilà un garçon qui sait vivre. ll n'a pas évoqué le champagne coulant à flot entre le sac et le ressac, mais juste parce qu'un tel enthousiasme aurait contrevenu à son look savamment pas réveillé.
Donc, en gros, cherche jeune fille prête à se donner en échange d'un week-end à Deauville avec un golden petit poucet.
J'avoue que mon côté vénal... Oui, car c'est bien connu, les femmes sont vénales... Le casino, les palaces, le yacht, tout ça, sans parler du reste... Mais donc, finalement, j'ai bien réfléchi pendant une ou deux secondes, et j'ai réalisé que j'avais des tas de choses urgentes à faire, par exemple une balade à pied dans le XIIe arrondissement qui ne pouvait plus attendre, et diverses souriceries du même ordre. Alors, non.
"Ah, c'est balot."
Je crois, oui.
Les mèches légèrement décoiffées par le souffle de la rame qui arrivait à quai, dans un dernier élan, il me dit au revoir.
Au revoir. Et bon vent...