Au temps de ma jeunesse folle
Hé ! Dieu, si j’eusse étudié
Au temps de ma jeunesse folle...
Au fait, j'ai étudié. J'étais même pas la seule, dites donc. On était plein. ça permettait de concilier étude et jeunesse folle. D'avoir de grandes discussions autour de la machine à café entre deux cours, où parfois même on ne parlait pas de cours. De se croiser dans les couloirs, aussi, parfois, en attendant un cours. Et même, par exception, de discuter après les cours, quelques minutes, avant de rentrer chacun chez soi bosser ses cours. C'était plein de chaleur humaine, des liens indéfectibles se nouaient... Jeunesse folle, je vous dis.
Or un jour, soudainement... Oui, je sais, le suspense est trop intense, tant le décor planté est déjà palpitant. Un jour, soudainement, un événement inattendu.
Un camarade m'attendait sur le chemin du lycée.
Pour me parler.
Du jamais vu.
Un timide, en plus. Cheveux coupés très courts, manteau bleu marine, maintien un peu raide, regard résolument tourné vers ses pieds. Tout droit sorti d'un livre de lecture des années 50. D'ailleurs, la phrase qu'il prononça sortait, elle aussi, d'un livre de lecture des années 50 : "Est-ce que tu voudrais bien qu'on aille au cinéma ensemble ?"
Yeux ronds de la souris. Ah, c'était pour ça, cet air si préoccupé ? Euh, oui, pourquoi pas ?
Malheureusement, pris que nous étions tous deux par le rythme intensif de nos cours respectifs, le fameux cinéma, le cinéma tant attendu, le cinéma ultime ne se fit jamais.
Quelques temps plus tard, un camarade m'attendait sur le chemin du lycée.
Le même.
En juste un peu plus raide et plus mal à l'aise.
Et il tenait une petite enveloppe à la main, qu'il me donna, presque sans réussir à articuler un mot avec. Dans la petite enveloppe blanc cassé, doublée en papier de soie, une courte lettre, d'une écriture très très régulière, où le garçon timide me faisait de brûlantes excuses, car, écrivait-il, il m'avait menti.
Et c'était très très grave, ça, car j'ai omis de préciser que le garçon timide était aussi un catholique ultra pratiquant.
Donc, il m'avait menti. Oui, car il m'avait dit qu'il voulait aller au cinéma avec moi, or, m'expliquait-il dans sa lettre et dans sa contrition, ce n'était pas du tout la vérité. La vérité, c'est qu'il était amoureux de moi.
Tout cela était follement romantique.
La souris prit donc sa plume la plus ethérée et trouva de hautes, spirituelles et romanesques raisons pour botter en touche. Le garçon timide en fut sans doute fort affecté mais, comme il était vraiment très timide, cela ne se vit pas beaucoup. Fin de la petite histoire.
Mais quel rapport avec la choucroutitude, me direz-vous? Il n'est pas à la noix du tout, ce garçon. Sincère, incompétent, idéaliste, sans tactique ni stratagèmes...
Le garçon timide permet justement une nécessaire précision terminologique. En effet, par "à la noix", on entend en général "à la manque", "incompétent". Or, les dragueurs à la noix dépeints ici sont tout sauf incompétent, au contraire, ils sont généralement techniquement très au point. Rien à voir avec les dragueurs à la manque, ou dragueurs maladroits, comme celui ci-décrit. Il nous faut donc en urgence, sous peine de confusion, préciser la définition du dragueur à la noix.
La brillante démonstration du jour aboutit donc à distinguer entre :
- le dragueur à la noix, qui met sa haute compétence technique au service d'une absence totale de sentiments et de scrupules
- le dragueur à la manque, qui met ses grands sentiments et ses immenses scrupules au service d'une absence totale de compétence technique.
CQFD.
Au temps de ma jeunesse folle...
Au fait, j'ai étudié. J'étais même pas la seule, dites donc. On était plein. ça permettait de concilier étude et jeunesse folle. D'avoir de grandes discussions autour de la machine à café entre deux cours, où parfois même on ne parlait pas de cours. De se croiser dans les couloirs, aussi, parfois, en attendant un cours. Et même, par exception, de discuter après les cours, quelques minutes, avant de rentrer chacun chez soi bosser ses cours. C'était plein de chaleur humaine, des liens indéfectibles se nouaient... Jeunesse folle, je vous dis.
Or un jour, soudainement... Oui, je sais, le suspense est trop intense, tant le décor planté est déjà palpitant. Un jour, soudainement, un événement inattendu.
Un camarade m'attendait sur le chemin du lycée.
Pour me parler.
Du jamais vu.
Un timide, en plus. Cheveux coupés très courts, manteau bleu marine, maintien un peu raide, regard résolument tourné vers ses pieds. Tout droit sorti d'un livre de lecture des années 50. D'ailleurs, la phrase qu'il prononça sortait, elle aussi, d'un livre de lecture des années 50 : "Est-ce que tu voudrais bien qu'on aille au cinéma ensemble ?"
Yeux ronds de la souris. Ah, c'était pour ça, cet air si préoccupé ? Euh, oui, pourquoi pas ?
Malheureusement, pris que nous étions tous deux par le rythme intensif de nos cours respectifs, le fameux cinéma, le cinéma tant attendu, le cinéma ultime ne se fit jamais.
Quelques temps plus tard, un camarade m'attendait sur le chemin du lycée.
Le même.
En juste un peu plus raide et plus mal à l'aise.
Et il tenait une petite enveloppe à la main, qu'il me donna, presque sans réussir à articuler un mot avec. Dans la petite enveloppe blanc cassé, doublée en papier de soie, une courte lettre, d'une écriture très très régulière, où le garçon timide me faisait de brûlantes excuses, car, écrivait-il, il m'avait menti.
Et c'était très très grave, ça, car j'ai omis de préciser que le garçon timide était aussi un catholique ultra pratiquant.
Donc, il m'avait menti. Oui, car il m'avait dit qu'il voulait aller au cinéma avec moi, or, m'expliquait-il dans sa lettre et dans sa contrition, ce n'était pas du tout la vérité. La vérité, c'est qu'il était amoureux de moi.
Tout cela était follement romantique.
La souris prit donc sa plume la plus ethérée et trouva de hautes, spirituelles et romanesques raisons pour botter en touche. Le garçon timide en fut sans doute fort affecté mais, comme il était vraiment très timide, cela ne se vit pas beaucoup. Fin de la petite histoire.
Mais quel rapport avec la choucroutitude, me direz-vous? Il n'est pas à la noix du tout, ce garçon. Sincère, incompétent, idéaliste, sans tactique ni stratagèmes...
Le garçon timide permet justement une nécessaire précision terminologique. En effet, par "à la noix", on entend en général "à la manque", "incompétent". Or, les dragueurs à la noix dépeints ici sont tout sauf incompétent, au contraire, ils sont généralement techniquement très au point. Rien à voir avec les dragueurs à la manque, ou dragueurs maladroits, comme celui ci-décrit. Il nous faut donc en urgence, sous peine de confusion, préciser la définition du dragueur à la noix.
La brillante démonstration du jour aboutit donc à distinguer entre :
- le dragueur à la noix, qui met sa haute compétence technique au service d'une absence totale de sentiments et de scrupules
- le dragueur à la manque, qui met ses grands sentiments et ses immenses scrupules au service d'une absence totale de compétence technique.
CQFD.