Le jour des hyènes
Il y a des jours où les dragueurs à la noix tombent dru. Oh, non, pas un jour comme celui-ci, non. Pas de regards admiratifs, d'attitudes chaleureuses, de voix vibrantes de gravité ; mais des abordages francs, clairs, frontaux, dans la rue, un, puis deux, puis trois, qui répètent « tu es belle », « tu es très belle », « t'es tellement belle », « t'es vraiment trop belle » comme pour s'en convaincre : car aujourd'hui la souris n'est pas belle, aujourd'hui la souris est, quel est le mot déjà, défaite, précisément, défaite, d'une trop courte nuit les cernes au milieu des joues, le teint terne, les yeux brouillés par une glace intérieure, le maintien courbe et chancelant comme si son propre poids lui était de trop, le pas alourdi et morne, les cheveux qui ressemblent à n'importe quoi, ne nous racontons pas d'histoires de bad hair days des cheveux comme ça ce sont des cheveux sales et puis c'est tout, les larmes prêtes à jaillir, la bouche amollie de doutes, sans maquillage et habillée de terne, aujourd'hui la souris est plus grise encore que d'habitude, la souris est l'ombre de son ombre.
Et c'est précisément sous les pas de cette souris-là que les dragueurs à la noix semblent naître comme les pétales de roses sous ceux d'une princesse des Mille et une nuits.
Ce qui me ramène à un sujet que j'avais promis de traiter à Lledelwin il y a près de six mois (non, je n'oublie pas les nombreuses promesses faites dans les commentaires, je suis très lente, c'est tout). Car ce n'est pas la première fois que je le remarque : ce n'est pas les jours où vous êtes au top que les dragueurs à la noix sont les plus nombreux, mais au contraire lorsque vous êtes au plus bas ; et il y a fort à parier qu'à travers la buée de vos larmes ce n'est pas une épaule consolatrice que vous verrez apparaître, mais bien le rictus satisfait du profiteur de faiblesse.
Les dragueurs à la noix ne sont pas tout à fait des charognards. Ils ne s'attaquent pas aux cadavres. Ah, ça, non, ce serait vraiment pervers. Mais ils savent en revanche parfaitement distinguer l'animal le plus faible de la horde, celui qu'il sera facile d'isoler, d'encercler et de pousser à bout. Celui qui présente une faille. Ce qui les attire, sachez-le bien, jeunes filles éplorées, ce n'est pas le charme touchant de vos larmes, mais l'odeur du sang. Vous êtes un animal blessé ; il ne tient qu'à eux d'agrandir la plaie pour s'en repaître.
Oh, n'imaginez pas une seule seconde que vos états d'âme puissent passer inaperçus. Les bons jours, oui, peut-être : votre joie est toute intérieure ; elle vous donne une force, un air décidé, nul ne pourrait vous arrêter. Mais vos mauvais jours sont autant d'appels à la maltraitance publique. On vous bousculera sans cesse ; tous les mal lunés en quête d'un prétexte d'énervement, tous les tarés en mal de conversation seront pour vous. En humeur triste, votre pas se fait hésitant ; vous n'avez pas l'air bien sûre de vous ; vous semblez toute perdue ; votre corps est sans résistance, le moindre impact vous fait trébucher, il n'en faudrait pas beaucoup pour vous mettre par terre. Vous êtes l'image de la vulnérabilité, vous attirez les fâcheux comme un aimant, chacun sait qu'il pourra aisément vous subvertir.
Et puis surtout, vos yeux sont si grand ouverts. Jamais comme aux jours de grande tristesse je n'ai eu tant conscience de leur prise au vent. Votre regard, brouillé par un désastre intérieur, s'ouvre très grand sur un horizon élargi. Vos yeux tristes sont comme l'accroc dans la voile où la tempête s'engouffre pour la déchirer de part en part : leur lenteur est telle qu'ils ne savent esquiver ; capter leur attention pour vous captiver, jeu d'enfant. Chacun de vos regards, étendue d'eau glacée, est un appel à l'aide, et de l'aide vous n'en aurez pas, mais l'appel demeure : triste, vous vous offrez à ceux qui vous entourent bien plus que lorsque vous vous suffisez à vous-même.
De fait, vous offrez une technique d'approche en or au premier qui vous repère : « Pourquoi t'es triste comme ça ? C'est dommage... » a-t-il dit, les bras grands ouverts. Ainsi d'un seul mouvement avance-t-il l'ébauche d'un compliment, mais presque sous forme d'un neg – tu serais tellement jolie si tu ne faisais pas la gueule – et une question très intime destinée à vous faire causer, à rentrer en contact.
La souris l'a esquivé, tournant vers le ciel deux mains fatalistes en haussant les épaules. Qui sait pourquoi je suis triste ? Pas toi, ni maintenant ni après. Car elle sait bien qu'aucun dragueur à la noix n'apportera consolation. Oh, non, il n'est pas là pour vous écouter, pour vous comprendre, pour vous rassurer, pour vous donner de bons conseils – ce genre de choses qui pourraient peut-être vous permettre de remonter la pente, de reprendre quelques forces – mais pour vous forcer à la joie, vous apprendre que vous ne devez pas être triste dès lors qu'il fait attention à vous, pour vous secouer, vous mortifier dans votre faiblesse, vous arracher peut-être un rire excessif car vous lui devez bien ça – ou alors, si jamais cela ne marche pas, si vous persistez à être ailleurs, pour manifester son dépit par quelque insulte en réserve.
Marché de dupe que celui du dragueur à la noix qui vous propose son affection pour vous consoler de vos soucis ; car il n'accepte, en fait, de sembler prendre intérêt à votre peine qu'à la seule condition que vous l'évacuerez immédiatement pour tourner toute votre attention sur lui. Il ne veut, en fait, pas du tout avoir affaire à votre affliction. Il ne vous a pas trouvée intéressante parce que votre tristesse l'a ému, mais parce qu'elle vous rendait vulnérable ; il ne peut l'admettre que tant qu'elle lui prépare le terrain et lui cède immédiatement la place.
Il vous fera penser à autre chose, superficiellement, peut-être quelques instants, mais n'attendez pas le moindre réconfort de celui qui, percevant votre faiblesse, n'a pensé qu'à ce qu'il en pourrait obtenir.
Et c'est précisément sous les pas de cette souris-là que les dragueurs à la noix semblent naître comme les pétales de roses sous ceux d'une princesse des Mille et une nuits.
Ce qui me ramène à un sujet que j'avais promis de traiter à Lledelwin il y a près de six mois (non, je n'oublie pas les nombreuses promesses faites dans les commentaires, je suis très lente, c'est tout). Car ce n'est pas la première fois que je le remarque : ce n'est pas les jours où vous êtes au top que les dragueurs à la noix sont les plus nombreux, mais au contraire lorsque vous êtes au plus bas ; et il y a fort à parier qu'à travers la buée de vos larmes ce n'est pas une épaule consolatrice que vous verrez apparaître, mais bien le rictus satisfait du profiteur de faiblesse.
Les dragueurs à la noix ne sont pas tout à fait des charognards. Ils ne s'attaquent pas aux cadavres. Ah, ça, non, ce serait vraiment pervers. Mais ils savent en revanche parfaitement distinguer l'animal le plus faible de la horde, celui qu'il sera facile d'isoler, d'encercler et de pousser à bout. Celui qui présente une faille. Ce qui les attire, sachez-le bien, jeunes filles éplorées, ce n'est pas le charme touchant de vos larmes, mais l'odeur du sang. Vous êtes un animal blessé ; il ne tient qu'à eux d'agrandir la plaie pour s'en repaître.
Oh, n'imaginez pas une seule seconde que vos états d'âme puissent passer inaperçus. Les bons jours, oui, peut-être : votre joie est toute intérieure ; elle vous donne une force, un air décidé, nul ne pourrait vous arrêter. Mais vos mauvais jours sont autant d'appels à la maltraitance publique. On vous bousculera sans cesse ; tous les mal lunés en quête d'un prétexte d'énervement, tous les tarés en mal de conversation seront pour vous. En humeur triste, votre pas se fait hésitant ; vous n'avez pas l'air bien sûre de vous ; vous semblez toute perdue ; votre corps est sans résistance, le moindre impact vous fait trébucher, il n'en faudrait pas beaucoup pour vous mettre par terre. Vous êtes l'image de la vulnérabilité, vous attirez les fâcheux comme un aimant, chacun sait qu'il pourra aisément vous subvertir.
Et puis surtout, vos yeux sont si grand ouverts. Jamais comme aux jours de grande tristesse je n'ai eu tant conscience de leur prise au vent. Votre regard, brouillé par un désastre intérieur, s'ouvre très grand sur un horizon élargi. Vos yeux tristes sont comme l'accroc dans la voile où la tempête s'engouffre pour la déchirer de part en part : leur lenteur est telle qu'ils ne savent esquiver ; capter leur attention pour vous captiver, jeu d'enfant. Chacun de vos regards, étendue d'eau glacée, est un appel à l'aide, et de l'aide vous n'en aurez pas, mais l'appel demeure : triste, vous vous offrez à ceux qui vous entourent bien plus que lorsque vous vous suffisez à vous-même.
De fait, vous offrez une technique d'approche en or au premier qui vous repère : « Pourquoi t'es triste comme ça ? C'est dommage... » a-t-il dit, les bras grands ouverts. Ainsi d'un seul mouvement avance-t-il l'ébauche d'un compliment, mais presque sous forme d'un neg – tu serais tellement jolie si tu ne faisais pas la gueule – et une question très intime destinée à vous faire causer, à rentrer en contact.
La souris l'a esquivé, tournant vers le ciel deux mains fatalistes en haussant les épaules. Qui sait pourquoi je suis triste ? Pas toi, ni maintenant ni après. Car elle sait bien qu'aucun dragueur à la noix n'apportera consolation. Oh, non, il n'est pas là pour vous écouter, pour vous comprendre, pour vous rassurer, pour vous donner de bons conseils – ce genre de choses qui pourraient peut-être vous permettre de remonter la pente, de reprendre quelques forces – mais pour vous forcer à la joie, vous apprendre que vous ne devez pas être triste dès lors qu'il fait attention à vous, pour vous secouer, vous mortifier dans votre faiblesse, vous arracher peut-être un rire excessif car vous lui devez bien ça – ou alors, si jamais cela ne marche pas, si vous persistez à être ailleurs, pour manifester son dépit par quelque insulte en réserve.
Marché de dupe que celui du dragueur à la noix qui vous propose son affection pour vous consoler de vos soucis ; car il n'accepte, en fait, de sembler prendre intérêt à votre peine qu'à la seule condition que vous l'évacuerez immédiatement pour tourner toute votre attention sur lui. Il ne veut, en fait, pas du tout avoir affaire à votre affliction. Il ne vous a pas trouvée intéressante parce que votre tristesse l'a ému, mais parce qu'elle vous rendait vulnérable ; il ne peut l'admettre que tant qu'elle lui prépare le terrain et lui cède immédiatement la place.
Il vous fera penser à autre chose, superficiellement, peut-être quelques instants, mais n'attendez pas le moindre réconfort de celui qui, percevant votre faiblesse, n'a pensé qu'à ce qu'il en pourrait obtenir.