Chapeau bas, messieurs !
"Eh bien, mademoiselle, vous portez le chapeau !"
L'exclamation venait du dos de la souris. Vous noterez au passage que celle-ci, lasse de ses propres interminables introductions avant d'en venir au fait, a secrètement travaillé la technique ninja de l'"incipit in medias res", technique subtile consistant tout simplement à vous balancer d'emblée en plein milieu de l'action, là où ça taille et ça canarde dans tous les sens, en l'occurrence dans un wagon de train à l'heure de pointe, au moment où, la gare approchant, un début d'embouteillage piéton se fait vers les portes libératrices, moment que choisit donc un individu non encore identifié pour héler la souris en ces termes :
"Vous portez le chapeau, mademoiselle !"
Car il le répète une seconde fois, le bougre ! croyant sans doute que si la souris ne s'est pas esclaffée à sa fine saillie, c'est qu'il ne l'a pas prononcée d'assez vive voix. La souris jette un oeil par-dessus son épaule (qui te rend si hardi de troubler mon voyage ?) pour apercevoir, oh, oui, c'était exactement ça, c'était ce qu'on appelle un gros dégueulasse.
Le gros dégueulasse n'est ni nécessairement gros, ni nécessairement sale : sa gros-dégueulassitude est toute intérieure, c'est la vulgarité satisfaite d'elle-même qui épaissit ses traits. Le gros dégueulasse est content de lui, le gros dégueulasse est souvent un homme d'un certain âge qui a bien réussi dans la vie et s'en croit autorisé à laisser ramper son regard visqueux sur toutes les jolies fleurs.
Et que nous vaut, ô souris, ces lignes pleines de fiel ? Mauvaise digestion matinale ? Phobie subite des transports en commun ? Haine des hommes finalement déclarée ? Rassurez-vous : la souris fait bonne figure et pâle sourire au déplaisant personnage avant de se détourner à nouveau (vers la porte, bon sang ! la foutue porte ! Elle va s'ouvrir, oui ou non ?). La souris n'est pas souris à s'engrener avec ses compagnons d'infortune transilienne comme une vulgaire banlieusarde. La souris est le zen incarné avec un pass Navigo. Mais voilà qu'à nouveau il insiste, car il le veut, son quart d'heure de célébrité :
"Non mais en fait c'est parce que vous portez un chapeau, vous voyez, et parfois on dit "porter le chapeau", l'expression "porter le chapeau", ça veut dire porter la responsabilité d'un truc, même si on est pas responsable, vous savez, on dit ça..."
Mais certainement, merci monsieur, c'est gentil de m'expliquer, je n'avais pas compris la fine allusion (sarcastiqua la souris en son for intérieur tout en conservant le plus hypocrite des calmes olympiens, mais vite, faites quelque chose, une araignée, au secours !).
"Comme en politique, dans les affaires politico-financières, vous savez, comme Juppé, on lui a fait porter le chapeau !..."
Mais que voilà une comparaison galante et bienvenue ! Conversation de cheval de retour que ses sens ne tracassent plus, sujet d'homme d'affaires et non d'homme à femmes. C'est finalement l'avantage avec les gros dégueulasses : ils ne se préoccupent jamais longtemps des jeunes filles, et retombent bien vite dans les petites routines de leurs préoccupations, politique, finances, loin, bien loin, heureusement, de l'amour et de la séduction.
L'exclamation venait du dos de la souris. Vous noterez au passage que celle-ci, lasse de ses propres interminables introductions avant d'en venir au fait, a secrètement travaillé la technique ninja de l'"incipit in medias res", technique subtile consistant tout simplement à vous balancer d'emblée en plein milieu de l'action, là où ça taille et ça canarde dans tous les sens, en l'occurrence dans un wagon de train à l'heure de pointe, au moment où, la gare approchant, un début d'embouteillage piéton se fait vers les portes libératrices, moment que choisit donc un individu non encore identifié pour héler la souris en ces termes :
"Vous portez le chapeau, mademoiselle !"
Car il le répète une seconde fois, le bougre ! croyant sans doute que si la souris ne s'est pas esclaffée à sa fine saillie, c'est qu'il ne l'a pas prononcée d'assez vive voix. La souris jette un oeil par-dessus son épaule (qui te rend si hardi de troubler mon voyage ?) pour apercevoir, oh, oui, c'était exactement ça, c'était ce qu'on appelle un gros dégueulasse.
Le gros dégueulasse n'est ni nécessairement gros, ni nécessairement sale : sa gros-dégueulassitude est toute intérieure, c'est la vulgarité satisfaite d'elle-même qui épaissit ses traits. Le gros dégueulasse est content de lui, le gros dégueulasse est souvent un homme d'un certain âge qui a bien réussi dans la vie et s'en croit autorisé à laisser ramper son regard visqueux sur toutes les jolies fleurs.
Et que nous vaut, ô souris, ces lignes pleines de fiel ? Mauvaise digestion matinale ? Phobie subite des transports en commun ? Haine des hommes finalement déclarée ? Rassurez-vous : la souris fait bonne figure et pâle sourire au déplaisant personnage avant de se détourner à nouveau (vers la porte, bon sang ! la foutue porte ! Elle va s'ouvrir, oui ou non ?). La souris n'est pas souris à s'engrener avec ses compagnons d'infortune transilienne comme une vulgaire banlieusarde. La souris est le zen incarné avec un pass Navigo. Mais voilà qu'à nouveau il insiste, car il le veut, son quart d'heure de célébrité :
"Non mais en fait c'est parce que vous portez un chapeau, vous voyez, et parfois on dit "porter le chapeau", l'expression "porter le chapeau", ça veut dire porter la responsabilité d'un truc, même si on est pas responsable, vous savez, on dit ça..."
Mais certainement, merci monsieur, c'est gentil de m'expliquer, je n'avais pas compris la fine allusion (sarcastiqua la souris en son for intérieur tout en conservant le plus hypocrite des calmes olympiens, mais vite, faites quelque chose, une araignée, au secours !).
"Comme en politique, dans les affaires politico-financières, vous savez, comme Juppé, on lui a fait porter le chapeau !..."
Mais que voilà une comparaison galante et bienvenue ! Conversation de cheval de retour que ses sens ne tracassent plus, sujet d'homme d'affaires et non d'homme à femmes. C'est finalement l'avantage avec les gros dégueulasses : ils ne se préoccupent jamais longtemps des jeunes filles, et retombent bien vite dans les petites routines de leurs préoccupations, politique, finances, loin, bien loin, heureusement, de l'amour et de la séduction.