Sympathy for the devil
C'était lors des derniers gels, et celui-ci avait un atout de taille : un chapeau bien plus grand que le mien. Il commença donc en saluant la concordance de nos goûts pour les chapeaux démodés "à l'heure où la casquette est de mise". Assez observateur pour remarquer un chapeau sur la tête d'une souris, donc, mais pas suffisamment pour noter que ses innombrables frères jumeaux lui clignent de l'oeil sur toutes les têtes cette saison.
Mais son propos n'était pas d'épiloguer sur la mode. Son propos était, ou du moins se présentait-il ainsi, de faire un sondage d'opinion auprès des femmes, avec deux questions :
1) êtes-vous romantique ?
2) Faites-vous partie de la France qui se lève tôt pour travailler plus pour gagner plus ?
La souris aurait dû sentir immédiatement que ce n'était pas un vrai sondeur. En effet, un vrai sondeur ne pose pas comme ça des questions en attendant une réponse par oui ou par non, comme si la vérité était sans nuances. Non, à cet endroit, un vrai sondeur aurait proposé un QCM, qui est, comme chacun sait, la seule méthode véritablement scientifique pour quantifier les problèmes humains, et aurait donc déroulé une liste de propositions de réponses comme Oui, Non, Peut-être, Ne se prononce pas, ou même plutôt, pour réellement peser l'émotion, Tout à fait d'accord, D'accord sans enthousiasme, Un peu d'accord, A peu près d'accord, Moyennement d'accord, Un petit peu pas d'accord, Pas d'accord au point de grogner, Pas d'accord au point de crier, Pas d'accord au point de mordre le sondeur, Pas d'accord lui fait pipi sur les chaussures, Pas d'accord se barre en courant, Ne se prononce pas. Là, non. Deux questions, c'est tout, improvisez.
Questions faites pour vous faire causer, d'ailleurs, avec la subtile conotation décalée "so 2007" idéale pour créer de la connivence avec la demoiselle. Mais ici surtout soyez vague, soyez imprécise, car le baratineur est en prise. Eh oui, le risque, jeune souris qui m'écoute, le risque vient de toi-même et tu es ta pire ennemie, tel le tigre aventuré sur un parcours de golf se trahit par la magnificence de sa fourrure. Tu veux montrer comme tu es spirituelle, tu veux faire de la repartie saillante, tu veux trouver une réponse qui tue. N'y pense même pas. Quand bien même de la promptitude de ton esprit jaillirait une réplique digne d'un Fabrice Lucchini femelle, tu tendrais là une sacrée perche à ton importun. Il va falloir accepter de faire un réponse au poil terne et à l'oeil chassieux, un réponse qui te ferait honte à toi-même dans tout autre contexte. Disons donc : Euh, bof. Ce sera parfait.
De toutes façons, le dragueur au chapeau n'a que faire de vos réponses. Un simple gargouillis l'autorise à poursuivre son baratin : voilà, il veut vous vendre un bouquin sur "Le Kama-Sutra au bureau". Un bouquin drôle, souligne-t-il. Comique. Enfin, humoristique. Au ton décalé, s'efforce-t-il tandis que la souris lui inflige un gros blanc.
Puis elle l'assure posément qu'elle n'a pas d'humour. Exit le bouquin. L'homme change de cheval avec la promptitude de l'éclair :
"Et sinon, vous êtes mariée ?"
Non, mais disons que oui, parce qu'on ne va pas se lancer dans de subtile distinctions QCMologiques entre mariage, PACS, concubinage, union libre lorsque la question - mal posée, donc - se formulerait plus exactement de manière inverse, comme : "Vous êtes open ?"
En couple, la souris. Mais le sondeur-vendeur-dragueur, peu soucieux de sa productivité, prolonge l'échange malgré la fin de non-recevoir :
"Moi aussi, et j'me fais chier !"
Oh ! Que le clavier me brûle d'écrire d'aussi vilains mots ! Que le coeur me fend, que ma roulette de souris couine ! Cela me vaudra, au moins, de laver mon écran avec du savon ! Mais oui, ce sont ses mots, ses propres mots, ses sales mots, "J'me fais chier !" Que de respect pour la partie adverse dans cette exclamation ! Que de délices ! De quoi faire envie à toute femme ! Un homme qui salit son épouse auprès d'une parfaite inconnue, quel gage d'honnêteté et de délicatesse future ! Car oui, c'est bien de ça qu'il s'agit :
"Vous voulez un amant qui tienne la route ?"
Personnellement, si j'avais à choisir un amant, j'en prendrais un qui ne tiendrait plutôt pas la route, car la posture est peu avantageuse et n'apporte guère à la relation. Mais c'était très direct comme question, et la souris s'entend alors répondre à peu près comme à un représentant en aspirateur sonnant à sa porte que non, ça va, merci, elle a déjà tout ce qu'il faut à la maison.
"ça durera pas !" Imprèque-t-il (imprécate-t-il ?) en s'éloignant.
Et la souris restée seule s'interroge. Il était plutôt bel homme, ce dragueur à la noix, la quarantaine bien portée, une belle tête sous son drôle de chapeau, des yeux attrayants, pas timide, et pas idiot non plus malgré ses tentatives de le cacher sous un baratin absurde. Comment s'est il donc retrouvé, celui-là, à vendre à la sauvette un bouquin d'humour gras et à draguer la bourgeoise à coups de remarques misogynes désespérées un soir de pluie, au crépuscule en hiver ?
Mais son propos n'était pas d'épiloguer sur la mode. Son propos était, ou du moins se présentait-il ainsi, de faire un sondage d'opinion auprès des femmes, avec deux questions :
1) êtes-vous romantique ?
2) Faites-vous partie de la France qui se lève tôt pour travailler plus pour gagner plus ?
La souris aurait dû sentir immédiatement que ce n'était pas un vrai sondeur. En effet, un vrai sondeur ne pose pas comme ça des questions en attendant une réponse par oui ou par non, comme si la vérité était sans nuances. Non, à cet endroit, un vrai sondeur aurait proposé un QCM, qui est, comme chacun sait, la seule méthode véritablement scientifique pour quantifier les problèmes humains, et aurait donc déroulé une liste de propositions de réponses comme Oui, Non, Peut-être, Ne se prononce pas, ou même plutôt, pour réellement peser l'émotion, Tout à fait d'accord, D'accord sans enthousiasme, Un peu d'accord, A peu près d'accord, Moyennement d'accord, Un petit peu pas d'accord, Pas d'accord au point de grogner, Pas d'accord au point de crier, Pas d'accord au point de mordre le sondeur, Pas d'accord lui fait pipi sur les chaussures, Pas d'accord se barre en courant, Ne se prononce pas. Là, non. Deux questions, c'est tout, improvisez.
Questions faites pour vous faire causer, d'ailleurs, avec la subtile conotation décalée "so 2007" idéale pour créer de la connivence avec la demoiselle. Mais ici surtout soyez vague, soyez imprécise, car le baratineur est en prise. Eh oui, le risque, jeune souris qui m'écoute, le risque vient de toi-même et tu es ta pire ennemie, tel le tigre aventuré sur un parcours de golf se trahit par la magnificence de sa fourrure. Tu veux montrer comme tu es spirituelle, tu veux faire de la repartie saillante, tu veux trouver une réponse qui tue. N'y pense même pas. Quand bien même de la promptitude de ton esprit jaillirait une réplique digne d'un Fabrice Lucchini femelle, tu tendrais là une sacrée perche à ton importun. Il va falloir accepter de faire un réponse au poil terne et à l'oeil chassieux, un réponse qui te ferait honte à toi-même dans tout autre contexte. Disons donc : Euh, bof. Ce sera parfait.
De toutes façons, le dragueur au chapeau n'a que faire de vos réponses. Un simple gargouillis l'autorise à poursuivre son baratin : voilà, il veut vous vendre un bouquin sur "Le Kama-Sutra au bureau". Un bouquin drôle, souligne-t-il. Comique. Enfin, humoristique. Au ton décalé, s'efforce-t-il tandis que la souris lui inflige un gros blanc.
Puis elle l'assure posément qu'elle n'a pas d'humour. Exit le bouquin. L'homme change de cheval avec la promptitude de l'éclair :
"Et sinon, vous êtes mariée ?"
Non, mais disons que oui, parce qu'on ne va pas se lancer dans de subtile distinctions QCMologiques entre mariage, PACS, concubinage, union libre lorsque la question - mal posée, donc - se formulerait plus exactement de manière inverse, comme : "Vous êtes open ?"
En couple, la souris. Mais le sondeur-vendeur-dragueur, peu soucieux de sa productivité, prolonge l'échange malgré la fin de non-recevoir :
"Moi aussi, et j'me fais chier !"
Oh ! Que le clavier me brûle d'écrire d'aussi vilains mots ! Que le coeur me fend, que ma roulette de souris couine ! Cela me vaudra, au moins, de laver mon écran avec du savon ! Mais oui, ce sont ses mots, ses propres mots, ses sales mots, "J'me fais chier !" Que de respect pour la partie adverse dans cette exclamation ! Que de délices ! De quoi faire envie à toute femme ! Un homme qui salit son épouse auprès d'une parfaite inconnue, quel gage d'honnêteté et de délicatesse future ! Car oui, c'est bien de ça qu'il s'agit :
"Vous voulez un amant qui tienne la route ?"
Personnellement, si j'avais à choisir un amant, j'en prendrais un qui ne tiendrait plutôt pas la route, car la posture est peu avantageuse et n'apporte guère à la relation. Mais c'était très direct comme question, et la souris s'entend alors répondre à peu près comme à un représentant en aspirateur sonnant à sa porte que non, ça va, merci, elle a déjà tout ce qu'il faut à la maison.
"ça durera pas !" Imprèque-t-il (imprécate-t-il ?) en s'éloignant.
Et la souris restée seule s'interroge. Il était plutôt bel homme, ce dragueur à la noix, la quarantaine bien portée, une belle tête sous son drôle de chapeau, des yeux attrayants, pas timide, et pas idiot non plus malgré ses tentatives de le cacher sous un baratin absurde. Comment s'est il donc retrouvé, celui-là, à vendre à la sauvette un bouquin d'humour gras et à draguer la bourgeoise à coups de remarques misogynes désespérées un soir de pluie, au crépuscule en hiver ?