Bégaiement draguistique
Parfois la souris a une vieille chanson de, comment s'appelle-t-elle déjà, ah oui, Ophélie Winter, dans la tête, et ça c'est fatal, parce qu'alors Ophélie ouvre un second front intérieur et la souris cesse de se battre sur le front extérieur, elle baisse la garde, elle laisse tomber son cache-nez d'espion, ses regards furtifs pour sécuriser l'espace et sa démarche de loup de Tex Avery sur la pointe des pieds pour progresser de derrière-le-poteau en derrière-le-poteau-suivant, et aussitôt la voilà désarmée en terrain découvert et c'est le moment que choisit un grand jeune homme pour lui demander, à voix très basse, une garet'. Une quoi ? Une sssshsssigarets', chuchotte-t-il, quand même, on est sur un quai de gare, c'est un espace non fumeur.
Mais pas de dénégation de souris qui tienne, à défaut d'une garet', il veut son prénom, peut-être avec l'espoir qu'il soit fumant, lui. Et puis tiens, il commence par lui donner le sien en lui claquant deux grosses bises, comme ça au moins, c'est sûr, on a été présentés, on pourra pas dire qu'on a pas été présentés.
Et puisque le train de la souris ne part que dans un quart d'heure, le voilà qui propose de distraire la souris de sa (certainement charmante, bien qu'à la limite de l'audible) conersation. Lors c'est là, en l'entendant murmurer "On peut parler un peu ?" tout en jettant des regards discrets alentour comme pour trouver un coin tranquille (sur un quai de gare, rien de plus facile) que ça a soudain fait un gros "TILT" sous le crâne de la souris, Ophélie Winter s'est fait exploser la gueule par un obus de lucidité, mais oui, c'est exactement ça, c'est le dragueur qui voulait entraîner la souris dans un coin sombre.
La souris mentionna donc que les présentations avaient déjà été faites, naguère et ici même.
Les dragueurs à la noix réagissent parfois de manière si déroutante. Tandis que n'importe qui aurait bondi sur l'occasion pour sortir un game de vieille connaissance de folie ça alors quelle coïncidence, lui, non. Lui recula de deux bons mètres et laissa son regard se dissoudre dans l'air du soir avant de faire de même.
Comme si, dans son esprit, avoir déjà eu affaire à lui était l'argument ultime - bien plus fort qu'un "j'ai déjà un copain" ou un "je n'ai pas envie", complètement inefficaces - qui rendrait toutes choses impossibles entre nous. Comme s'il était persuaé qu'un souvenir de lui ne pouvait être qu'un mauvais souvenir.
Sombre jeune homme, sombre.