100% pure noix, sans sucre ajouté
Après avoir mis dans son panier noisettes, graines, pommes, raisins secs, biscottes, et tous aliments propres à contenter un rongeur au seuil de l’hiver, la souris était tombée en arrêt devant le rayon des jus de fruits. Tombée en arrêt, c’est bien le mot, car cela faisait bien trois minutes qu’elle restait plantée là, comme hypnotisée, à comparer les mérites respectifs de cent douze sortes de boissons diversement colorées.
Or un jeune homme était là, qui, après avoir salué la souris d’un joyeux bonjour à son entrée dans le magasin, s’occupait justement à garnir le rayon des jus de fruits d’encore plus de sortes de jus, de nectars et de cocktails vitaminés. Après avoir lancé deux ou trois sourires à la souris pour tâter le terrain, il se lança à sont tour et lui demanda si elle avait besoin d’aide. Parce qu’on ne sait jamais, hein, le choix d’une bouteille de jus de fruits est chose difficile, surtout pour une souris.
Laquelle expliqua gentiment que non, merci, elle était simplement plongée dans des questionnements métaphysiques.
C’est vrai, quoi, c’est une question hautement métaphysique, le choix d’un jus de fruit. Tenez, par exemple, si, comme Locke, vous niez l’existence d’une « substance » qui serait le support des « qualités », quelles conséquences sur les étiquettes vantant la qualité des fruits choisis pour l’élaboration du produit ? Si, à l’instar de Guillaume d’Occam, vous refusez de reconnaître l’existence des termes généraux, pouvez-vous encore hésiter entre des catégories, comme les « 100% jus de fruits » et les « nectars », ou seulement entre des individus, comme « le jus de pomme », « le jus de mangue », « le jus de ramboutan » ? Et si, comme Berkeley, encore lui, vous soutenez que toutes ces choses n’existent que dans votre esprit, est-il indifférent de mettre dans votre panier du jus de poire ou du jus de raisin, ou alors, justement, la différence de goût qui ne manquera pas de frapper vos papilles au moment du petit déjeuner suffira-t-elle à prouver l’existence en soi du jus de fruit ?
Bref. Je m’égare comme une souris perdue dans la contemplation d’un rayon de jus de fruits.
Ce que le jeune homme répondit alors mérite bien qu’on lui laisse le dernier mot :
« Métaphysique, métaphysique… Moi, c’est plutôt le physique ! »