Happy meal
Naguère, il arriva à la souris de vendre son corps et son âme au grand capital. Enfin, surtout son corps, vu que son âme, pour préparer des sandwiches, excusez-moi, mais le besoin n’en est pas grand. A moins de savoir multiplier les pains, on se sert surtout de ses dix doigts.
Lesquels dix doigts étaient, ce jour-là, fort occupés à pianoter sur une caisse enregistreuse tout en récupérant les merveilleux sandwiches au pain frais confectionnés à la demande dans notre arrière-boutique par notre chef-pâtissier, pardon, je voulais dire, par une pauvre étudiante sans le sou elle aussi. Et comme il n’y avait pas beaucoup de monde à cette heure, et comme la souris était fort sémillante et appétissante dans on élégant uniforme rouge, jaune et marron avec serre-tête assorti, un jeune cadre dynamique qui venait régulièrement en ce lieu assouvir ses appétits tenta d’engager la conversation en demandant, par exemple, si les tartes aux pommes étaient bonnes. A quoi la souris, animal volontiers frugivore, acquiesça avec enthousiasme.
Rebondissant sur ce début prometteur, le jeune cadre demanda si c’était vrai. La souris, moderne Epiménide, répondit que oui, bien sûr, elle disait toujours la vérité.
De plus en plus badin, le jeune homme plein de bonnes idées suggéra que si la souris disait toujours la vérité, c’est parce qu’elle était une machine, programmée pour, et répondant automatiquement.
A quoi la souris rétorqua que non, si elle disait toujours la vérité, c’était parce que, conformément à l’impératif catégorique de Kant, elle agissait toujours en sorte que la maxime de son action puisse être considérée comme loi universelle.
Le jeune cadre en resta la mâchoire pendante, la bouche tellement bée qu’on aurait pu y enfourner son sandwich en un seul morceau. Avouons-le, la philosophie kantienne est quelque peu indigeste.