Le non-dragueur du bus
Dans l’autobus qui la ramenait chez elle, la souris blonde lisait, ce jour-là, un recueil de poésie. Certes, me direz-vous, la souris a proclamé de nombreuses fois qu’elle n’aimait pas la poésie. Certes. Il faut croire que ce poète-là n’était pas un poète à la noix. Le recueil en question était un objet précieux, fin, sobre, en papier épais, un recueil de poèmes de Pierre Oster Soussouev, Alchimie de la lenteur.
La souris était donc plongée dans la méditation de ces mots peu nombreux, pesant avec exactitude sur le papier crème. Peut-être même s’était-elle abîmée dans la contemplation d’une strophe aux reflets de mercure :
« Je travaille mes flaques ; je m’apprête, en les traversant d’un regard, à m’en déprendre… A mes flaques, avec ténacité, je travaille. »
Toute hallucinée de ces inhabituelles lectures, la souris ne prêtait plus attention, depuis quelque temps déjà, à son environnement immédiat. Le bus était presque vide. Presque. A un détail près. Lequel détail ne tarda pas à se rappeler à l’existence, en se penchant soudain par-dessus l’épaule de la souris flaquophile.
A ce moment, le détail fut pris d’une soudaine verve critique, et lança d’un trait :
« Mais qu’est-ce que c’est que ces conneries ! Non mais j’ai jamais lu des conneries pareilles ! Peuvent pas prendre leurs bras et travailler, non ! »
Visiblement, la souris n’est pas seule à ne pas être très sensible à la poésie. Mais de là à se trouver des points communs avec ce passager-là…