Le talent d'Achille
Achille sait comment aborder une jeune fille dans la rue pour qu’elle le regarde, s’arrête, lui sourie, lui réponde avec douceur. Il sait les amener où il veut en venir. Il faut dire qu’il a du métier : il fait ça à longueur de journée. Et à un endroit où la concurrence est rude, en plus. Mais Achille, il a un don. Un truc. Un pouvoir divin, peut-être, qui le rend invincible.
On ne peut pourtant pas dire que son physique l’avantage particulièrement. Son élégant profil grec est quelque peu gâché par de grosses lunettes. Les cheveux, joliment bouclés à l’antique, sont d’une couleur indéfinissable ; et la pâleur marmoréenne de sa peau évoque plus les longues heures passées à réviser les partiels à la bibliothèque universitaire que les marbres de Praxitèle.
Mais Achille sait parler aux femmes. Gentiment, sans sourire niaiseux. On s’arrête facilement pour répondre à son bonjour, il continue, avec simplicité, sans dire forcément des choses très drôles ou très originales, mais on est… pas captivée, ce n’est pas franchement le mot. Intéressée. Ça sonne juste, comme il parle. Ni culpabilisation, ni étalage de ses hauts faits, il dit ce qu’il a à dire, avec sincérité et clarté.
Quand il m’a demandé mon nom, ça ne m’est même pas venu à l’idée de lui en donner un faux. Ni un faux numéro de téléphone, d’ailleurs. Et je lui ai même donné le numéro de mon compte en banque, dans la foulée, tant qu’à faire !
Ah, j’oubliais, Achille est un héros. Pas un héros clinquant, plein de rage et de gloire. Héros parmi d’autres d’une armée de poussière, ennemie de tous les ennemis, d’une armée sans armes ni clairons sonnants, une armée où les sweat-shirts orange auraient remplacé l’éclat des armures.
Bref, tout ça pour dire que depuis hier, la souris blonde est donateur mensuel pour les jambes de bois et les fauteuils à roulettes, grâce à Achille et à Handicap International.