La poésie, avec de vrais morceaux de noix dedans
Celui-là croisa mon chemin en un lieu dont j'ai déjà parlé, une grande bibliothèque parisienne qui est donc en quelque sorte, non pas mon terrain de chasse, mais mon terrain de proie habituel, pourrait-on dire. Là où je croise à coup sûr des prédateurs. Oh, j'entends d'ici : là où tu vas chercher des prédateurs, souris blonde... Je rappelle donc que c'est avant tout une bibliothèque. Et en bon rongeur de bibliothèque, je vais y chercher des bouquins.
Mais, donc, ce jour-là, une fois de plus, à la pause-café, tandis que je serrais d'une main un breuvage qui occupait opportunément mes organes d'élocution et de l'autre un bon roman qui accaparait judicieusement mes facultés visuelles, le bord de mon oeil est attiré par un mouvement subreptice. Encore un voisin tourmenté, me dis-je, avec la vague impression d'avoir déjà vécu ça.
La suite fut pourtant surprenante. C'était encore un homme torturé par le besoin de parler, et, tant qu'à faire, quand on a besoin de parler, autant choisir une jolie oreille, n'est-ce pas. Or celui-là voulait parler de poésie.
Car il était poète. Enfin non, informaticien, mais en fait, de plus en plus poète. Il voulait en faire son métier, pour de vrai : poète. Et comme mon visage lui avait semblé hautement poétique, il avait dû en déduire que j'avais l'âme tout aussi éminemment poétique, et étais donc la plus apte à le conseiller en ces matières éthérées. Voilà donc qu'il me demande de lire ses oeuvres.
Emue par le pauvre homme dont la conversation balbutiante n'avait rien de poétique, et surtout abrutie par une journée de travail, la souris blonde se laisse refiler un paquet de feuilles, pour y jeter un oeil. Le poète de bibliothèque s'en retourne alors dans la salle de lecture, sans avoir tenté une seule manoeuvre d'approche draguiforme.
C'est là que ça devient pervers.
Car, oui, quand on vous a confié un manuscrit, aussi mauvais soit-il, il faut bien le rendre, même sans commentaires, par simple respect pour son auteur ! La souris est un animal poli. Et se retrouve donc à feuilleter le paquet de feuilles. ô joie, ô soulagement, l'adresse électronique du poète se trouvait à chaque page, il allait donc être facile de le contacter pour savoir où et quand lui rendre sa... Hum, bon, disons, poésie. Si Pascal Obispo ("le temps, c'est de l'amour") et Francis Cabrel ("quand j'aime une fois, c'est pour toujours") font de la poésie, alors c'était presque de la poésie. Oui, la souris a la dent rude pour les poètes.
On sent la subtilité. Voilà que la proie va elle-même solliciter son prédateur. Fragments choisis de cette (assez) longue correspondance. Glosés et découpés dans le plus grand souci d'objectivité, évidemment.
Un morceau de poésie tactique
La Souris Blonde :
Je peux vous renvoyer vos poèmes par courrier si vous voulez (j'ai trouvé votre adresse sur le manuscrit).
Le Poète :
Si tu y tiens, tu peux me les envoyer par courrier sans problème, mais dans ce cas, je te demanderais une chose : c'est de penser à préciser ton adresse (échange de bons procédés).
(Bien tenté, mon grand ! Si j'avais répondu en dormant, j'aurais presque pu me laisser avoir.)
Un morceau de poésie plein de bonne volonté
La Souris Blonde :
J'ai eu le temps de lire tes poèmes, mais ne vois pas trop quoi te dire dessus : je ne suis pas très sensible à la poésie en général.
Le Poète :
(Suit un morceau de bravoure de trois pages cherchant à montrer que la poésie est quelque chose d'intéressant, peut-être même conciliable avec la philosophie, et expliquant avec une bonne volonté désarmante comment réagir face à une oeuvre d'art. Et qui se termine par cet éclat :)
Cela dit, que tu sois experte ou pas en la matière, si tu désires appronfondir tes découvertes en la matière, fais-le moi savoir !
Un morceau de poésie qui confine à l'absurde
Le Poète :
J'ai beau croiser de nombreuses jeunes femmes dans mon quartier, aucune n'a ton sourire, ton elegance ni ne portent aussi bien cette combinaison détonnante de couleurs chatoyantes...
La Souris Blonde :
Il y a quelque chose que je ne comprends pas, tu dois me confondre avec quelqu'un d'autre. La dernière fois qu'on s'est croisés, j'étais entièrement habillée en noir.
Un morceau de poésie qui ne perd pas le nord
Le Poète :
Sinon, que dirais-tu de prendre un verre ensemble, histoire de faire un peu mieux connaissance ?
La Souris Blonde :
Désolée, mais mon emploi du temps est bouclé pour... Ohlà, au moins six mois !
Le Poète :
Je te remercie pour ta réponse. J'ai bien noté que tu serais occupée jusqu'a la fin de l'année environ.
Soupir...
Mais, donc, ce jour-là, une fois de plus, à la pause-café, tandis que je serrais d'une main un breuvage qui occupait opportunément mes organes d'élocution et de l'autre un bon roman qui accaparait judicieusement mes facultés visuelles, le bord de mon oeil est attiré par un mouvement subreptice. Encore un voisin tourmenté, me dis-je, avec la vague impression d'avoir déjà vécu ça.
La suite fut pourtant surprenante. C'était encore un homme torturé par le besoin de parler, et, tant qu'à faire, quand on a besoin de parler, autant choisir une jolie oreille, n'est-ce pas. Or celui-là voulait parler de poésie.
Car il était poète. Enfin non, informaticien, mais en fait, de plus en plus poète. Il voulait en faire son métier, pour de vrai : poète. Et comme mon visage lui avait semblé hautement poétique, il avait dû en déduire que j'avais l'âme tout aussi éminemment poétique, et étais donc la plus apte à le conseiller en ces matières éthérées. Voilà donc qu'il me demande de lire ses oeuvres.
Emue par le pauvre homme dont la conversation balbutiante n'avait rien de poétique, et surtout abrutie par une journée de travail, la souris blonde se laisse refiler un paquet de feuilles, pour y jeter un oeil. Le poète de bibliothèque s'en retourne alors dans la salle de lecture, sans avoir tenté une seule manoeuvre d'approche draguiforme.
C'est là que ça devient pervers.
Car, oui, quand on vous a confié un manuscrit, aussi mauvais soit-il, il faut bien le rendre, même sans commentaires, par simple respect pour son auteur ! La souris est un animal poli. Et se retrouve donc à feuilleter le paquet de feuilles. ô joie, ô soulagement, l'adresse électronique du poète se trouvait à chaque page, il allait donc être facile de le contacter pour savoir où et quand lui rendre sa... Hum, bon, disons, poésie. Si Pascal Obispo ("le temps, c'est de l'amour") et Francis Cabrel ("quand j'aime une fois, c'est pour toujours") font de la poésie, alors c'était presque de la poésie. Oui, la souris a la dent rude pour les poètes.
On sent la subtilité. Voilà que la proie va elle-même solliciter son prédateur. Fragments choisis de cette (assez) longue correspondance. Glosés et découpés dans le plus grand souci d'objectivité, évidemment.
Un morceau de poésie tactique
La Souris Blonde :
Je peux vous renvoyer vos poèmes par courrier si vous voulez (j'ai trouvé votre adresse sur le manuscrit).
Le Poète :
Si tu y tiens, tu peux me les envoyer par courrier sans problème, mais dans ce cas, je te demanderais une chose : c'est de penser à préciser ton adresse (échange de bons procédés).
(Bien tenté, mon grand ! Si j'avais répondu en dormant, j'aurais presque pu me laisser avoir.)
Un morceau de poésie plein de bonne volonté
La Souris Blonde :
J'ai eu le temps de lire tes poèmes, mais ne vois pas trop quoi te dire dessus : je ne suis pas très sensible à la poésie en général.
Le Poète :
(Suit un morceau de bravoure de trois pages cherchant à montrer que la poésie est quelque chose d'intéressant, peut-être même conciliable avec la philosophie, et expliquant avec une bonne volonté désarmante comment réagir face à une oeuvre d'art. Et qui se termine par cet éclat :)
Cela dit, que tu sois experte ou pas en la matière, si tu désires appronfondir tes découvertes en la matière, fais-le moi savoir !
Un morceau de poésie qui confine à l'absurde
Le Poète :
J'ai beau croiser de nombreuses jeunes femmes dans mon quartier, aucune n'a ton sourire, ton elegance ni ne portent aussi bien cette combinaison détonnante de couleurs chatoyantes...
La Souris Blonde :
Il y a quelque chose que je ne comprends pas, tu dois me confondre avec quelqu'un d'autre. La dernière fois qu'on s'est croisés, j'étais entièrement habillée en noir.
Un morceau de poésie qui ne perd pas le nord
Le Poète :
Sinon, que dirais-tu de prendre un verre ensemble, histoire de faire un peu mieux connaissance ?
La Souris Blonde :
Désolée, mais mon emploi du temps est bouclé pour... Ohlà, au moins six mois !
Le Poète :
Je te remercie pour ta réponse. J'ai bien noté que tu serais occupée jusqu'a la fin de l'année environ.
Soupir...
Jusqu'à ce jour où, par le plus grand des hasards, je recroisai le poète à la noix dans le métro. Et le trouvai éperdu de reconnaissance à mon endroit :
"Tu sais, la plupart des gens que je rencontre, au bout d'un moment, ils ne répondent plus à mes messages, et la correspondance s'arrête comme ça, et je trouve que c'est dommage. Alors que toi, au moins, tu me réponds toujours !"
Bon sang, mais qu'elle est naïve, cette souris ! J'avais essayé pendant des mois de dissuader le poète à la noix par des propos rébarbatifs et une évidente mauvaise volonté, alors que c'était si simple que ça ? Juste arrêter de lui répondre, c'est tout ?
Ce qui fut fait aussitôt.
"Tu sais, la plupart des gens que je rencontre, au bout d'un moment, ils ne répondent plus à mes messages, et la correspondance s'arrête comme ça, et je trouve que c'est dommage. Alors que toi, au moins, tu me réponds toujours !"
Bon sang, mais qu'elle est naïve, cette souris ! J'avais essayé pendant des mois de dissuader le poète à la noix par des propos rébarbatifs et une évidente mauvaise volonté, alors que c'était si simple que ça ? Juste arrêter de lui répondre, c'est tout ?
Ce qui fut fait aussitôt.