Le rappel des oiseaux
La souris en hiver, c'est pas un animal qui hiberne, mais pas loin.
La souris en hiver s'enveloppe dans long manteau noir, enfile ses gants noirs et met son chapeau noir. Un vrai chapeau de dame, fragile, rigide et hors du temps.
Vous allez dire : voilà. La souris, elle se trimballe avec un instrument bizarre, elle met des chapeaux, elle fait tout pour attirer l'attention sur elle, qu'elle vienne pas se plaindre ensuite. Vous aurez raison, et vous n'en serez pas plus avancés.
Samedi soir la souris, avec son grand manteau et son grand chapeau, se hâtait vers quelque but souricier, et son intrigante silhouette de souris en hiver créait quelque émotion de l'autre côté de la rue.
Deux hommes, qui se mirent à siffler.
D'abord un sifflement bref, modulé. Le genre de sifflement qui peut servir à appeler n'importe qui, et qu'on peut donc, comme toute souris qui se respecte, allègrement refuser de prendre pour soi, puisqu'on n'est pas n'importe qui.
Puis divers autres essais, d'autres sifflets interpellatifs variés qui ne laissaient plus de doute sur les intentions des deux pères siffleurs dans une rue bien vide - ils voulaient que la souris se retourne, histoire de voir la tête sous le chapeau.
Mais la souris n'aime pas trop qu'on la siffle.
C'est un peu le dernier degré de dépersonnalisation, le sifflement.
Les apostrophes "de loin" visent à contraindre leur objet à faire le premier pas rien qu'en les remarquant, tout en évitant de s'adresser directement à la personne, car il faudrrait pour cela assumer son intérêt. Tout en haut, vous avez le "mademoiselle", qui peut s'adresser à n'importe qui portant jupon. Le "eh" ou le "eh, pssst", un peu plus détestables, qui sollicitent l'attention, s'adressent à une personne mais sans assumer vraiment la personne à laquelle ils s'adressent. Et tout en bas, le sifflement, qui peut se faire passer pour n'importe quoi, une manifestation de joie, un signal entre camarades, et interpeller n'importe quel être vivant, un chat, un âne, un chien, une femme : en sifflant, le dragueur à la noix peut toujours prétendre avoir voulu autre chose que s'adresser à la demoiselle, si elle ne répond pas : l'honneur est sauf ; et en même temps, il lui demande de se reconnaître dans une interpellation qui pourrait aussi bien s'adresser à son clebs.
Mais ces deux-là ne renonçaient vraiment pas à leur souris, et se lancèrent dans un véritable concert, poursuivant la souris d'une suite endiablée de sifflements de toutes sortes, de roucoulades pressantes, de trilles de plus en plus spectaculaires, sérénade désespérée et surenchère de virtuosité pour attirer l'attention. La souris, imperturbable, poursuivait son chemin. Le dernier son qu'elle entendit fut un départ de percussions, comme si les deux s'étaient pris une poubelle, ou empêtrés dans des cartons - comme s'ils commençaient à faire vraiment n'importe quoi, pourvu qu'elle se retourne, bon sang, avec son foutu chapeau.
Pour tourner la tête aux sifflements, on attendra quelques semaines encore - le radoucissement de l'air, le moment de remiser les chapeaux, et le retour des oiseaux.
La souris en hiver s'enveloppe dans long manteau noir, enfile ses gants noirs et met son chapeau noir. Un vrai chapeau de dame, fragile, rigide et hors du temps.
Vous allez dire : voilà. La souris, elle se trimballe avec un instrument bizarre, elle met des chapeaux, elle fait tout pour attirer l'attention sur elle, qu'elle vienne pas se plaindre ensuite. Vous aurez raison, et vous n'en serez pas plus avancés.
Samedi soir la souris, avec son grand manteau et son grand chapeau, se hâtait vers quelque but souricier, et son intrigante silhouette de souris en hiver créait quelque émotion de l'autre côté de la rue.
Deux hommes, qui se mirent à siffler.
D'abord un sifflement bref, modulé. Le genre de sifflement qui peut servir à appeler n'importe qui, et qu'on peut donc, comme toute souris qui se respecte, allègrement refuser de prendre pour soi, puisqu'on n'est pas n'importe qui.
Puis divers autres essais, d'autres sifflets interpellatifs variés qui ne laissaient plus de doute sur les intentions des deux pères siffleurs dans une rue bien vide - ils voulaient que la souris se retourne, histoire de voir la tête sous le chapeau.
Mais la souris n'aime pas trop qu'on la siffle.
C'est un peu le dernier degré de dépersonnalisation, le sifflement.
Les apostrophes "de loin" visent à contraindre leur objet à faire le premier pas rien qu'en les remarquant, tout en évitant de s'adresser directement à la personne, car il faudrrait pour cela assumer son intérêt. Tout en haut, vous avez le "mademoiselle", qui peut s'adresser à n'importe qui portant jupon. Le "eh" ou le "eh, pssst", un peu plus détestables, qui sollicitent l'attention, s'adressent à une personne mais sans assumer vraiment la personne à laquelle ils s'adressent. Et tout en bas, le sifflement, qui peut se faire passer pour n'importe quoi, une manifestation de joie, un signal entre camarades, et interpeller n'importe quel être vivant, un chat, un âne, un chien, une femme : en sifflant, le dragueur à la noix peut toujours prétendre avoir voulu autre chose que s'adresser à la demoiselle, si elle ne répond pas : l'honneur est sauf ; et en même temps, il lui demande de se reconnaître dans une interpellation qui pourrait aussi bien s'adresser à son clebs.
Mais ces deux-là ne renonçaient vraiment pas à leur souris, et se lancèrent dans un véritable concert, poursuivant la souris d'une suite endiablée de sifflements de toutes sortes, de roucoulades pressantes, de trilles de plus en plus spectaculaires, sérénade désespérée et surenchère de virtuosité pour attirer l'attention. La souris, imperturbable, poursuivait son chemin. Le dernier son qu'elle entendit fut un départ de percussions, comme si les deux s'étaient pris une poubelle, ou empêtrés dans des cartons - comme s'ils commençaient à faire vraiment n'importe quoi, pourvu qu'elle se retourne, bon sang, avec son foutu chapeau.
Pour tourner la tête aux sifflements, on attendra quelques semaines encore - le radoucissement de l'air, le moment de remiser les chapeaux, et le retour des oiseaux.