Le dragueur de bibliothèque
Vous êtes assise dans le hall d'une célèbre bibliothèque, en pause au milieu d'une après-midi de travail, les neurones déconnectés, un café dans une main, un bon roman dans l'autre.
Mais voici que le coin de votre oeil vous informe que quelque chose se passe à votre gauche. Un jeune homme - jeune ou pas trop, le coin de l'oeil ne saurait dire - blond, ou blondasse, ou châtain clair, là encore le coin de l'oeil n'y a pas trop prit garde, s'est assis sur le banc à côté de vous. Rien que de très normal, jusque-là...
Mais ce qui soudain attire votre oeil, c'est que le jeune homme commence à danser sur son banc. Quelque chose comme une parade nuptiale - car il s'agit manifestement des prémisses d'une approche. Mais il se contente de s'agiter sur place, l'air nerveux et impatient, pousse de grands soupirs, laisse échapper des tics.
Le coin de votre oeil le guette avec compassion. Toi, mon grand, visiblement, tu as quelque chose à dire... Mais ça devrait même pas être permis, une angoisse pareille. Qu'est-ce qu'il a l'air mal à l'aise, le pauvre garçon.
Enfin, il se lance. "C'est pas un peu chiant, Aragon ?" Là, il a drôlement bien calculé son coup : il s'est vautré du premier coup. Vlan.
Après ce début si prometteur, le dragueur à la noix des bibliothèques tentera de poursuivre. On ne s'arrête pas en si bon chemin, surtout quand quelques monosyllabes renfrognés, émergeant d'un gobelet de café presque vide, vous encouragent à poursuivre.
Mais ce dragueur à la noix ne veut pas parler de lui. Il veut parler de Vous, jolie étudiante, de Vous, et de Vos études, tant qu'à faire, puisque vous êtes étudiante, en voilà un sujet qui doit vous intéresser. Surtout s'il n'a rien à dire dessus. Surtout si vous êtes en pause-café, à cent lieues de vos bouquins.
Bref, au bout de quelques minutes, la conversation languit. Silence pesant. Le dragueur à la noix est arrivé au bout de son sac de banalités et de noix creuses. Silence gênant. Qui se prolonge. Qui devient insupportable. Le pauvre garçon, il est de plus en plus raide sur son banc. Rideau.
Dépêchons-nous d'en rire avant de le prendre en pitié...