Le dragueur de gare - 2 : Jamais deux sans noix
(suite du conte de Noël à la noix)
Le qualificatif « de gare » est généralement employé dans un but péjoratif. Ainsi un roman « de gare » est-il forcément bâclé, un sandwich « de gare » mauvais et un chef « de gare » cocu.
On peut aussi remarquer que les choses appelées « de gare » marchent toujours selon une structure ternaire : pour le roman « de gare », l'amoureuse, l'amoureux, et un élément perturbateur (père, banqueroute, guerre, mycose des pieds) ; pour le sandwich « de gare », le pain, le fromage et le dindon (c'est vous) ; pour le chef « de gare », le mari, la femme, l'amant.
Le dragueur « de gare » n'échappait pas à cette règle : le troisième élément de la structure ternaire s'agitait derrière une vitre, juste en face de la souris. C'était un des agents de sécurité qui surveillaient la salle d'attente, et il commençait à adresser à la souris des signaux expressif qui semblaient demander si elle voulait qu'il intervienne – le petit manège du dragueur de gare ne lui avait manifestement pas échappé, ne lui était manifestement pas inconnu, ne manquait manifestement pas de le rendre un peu nerveux.
C'était touchant, en fait. La souris en fut excessivement émue. C'était la première fois, vrai de vrai, qu'une personne extérieure semblait considérer un dragueur à la noix comme une nuisance, compatir avec la souris et lui proposer une aide. Même venant de quelqu'un dont c'était le métier que tout se passe bien dans cette salle d'attente, cette prévenance avait quelque chose de profondément rassurant.
Mais la souris gérait à mort, alors non, ça allait. Le dragueur de gare était ennuyeux certes, mais pas agressif – surtout un peu paumé. Elle continua donc à dîner tranquillement, réagissant de loin en loin aux paroles d'un dragueur à la masse, échangeant de temps en temps des sourires discrets et des regards de connivence pour rassurer le monsieur derrière la vitre qui revenait régulièrement vérifier que tout allait bien.
Mais, me direz-vous, comment ? Juger qu'un dragueur à la noix ce n'est "pas si grave", est-ce bien là une parole de souris ? Mais comment, ajouterez vous en faisant volte-face à la vitesse de l'éclair, la souris envisagerait-elle de collaborer avec l'Etat sécuritaire pour se débarrasser d'un pauvre type ? Oh oui, parfois même les souris ont du mal à joindre les deux bouts, entre le pacifisme forcené qui les fait renâcler à s'appuyer sur la force publique et la conscience aiguë que c'est grâce à cette hésitation, entre autres, que les dragueurs à la noix continuent aussi tranquillement leurs agissements pas vraiment sympathiques.
Bizarre sensation, donc, que de se sentir protéger un dragueur de l'expulsion tout en regrettant le moment de calme lecture interrompu par sa présence un peu lourde.
(à suivre)
Le qualificatif « de gare » est généralement employé dans un but péjoratif. Ainsi un roman « de gare » est-il forcément bâclé, un sandwich « de gare » mauvais et un chef « de gare » cocu.
On peut aussi remarquer que les choses appelées « de gare » marchent toujours selon une structure ternaire : pour le roman « de gare », l'amoureuse, l'amoureux, et un élément perturbateur (père, banqueroute, guerre, mycose des pieds) ; pour le sandwich « de gare », le pain, le fromage et le dindon (c'est vous) ; pour le chef « de gare », le mari, la femme, l'amant.
Le dragueur « de gare » n'échappait pas à cette règle : le troisième élément de la structure ternaire s'agitait derrière une vitre, juste en face de la souris. C'était un des agents de sécurité qui surveillaient la salle d'attente, et il commençait à adresser à la souris des signaux expressif qui semblaient demander si elle voulait qu'il intervienne – le petit manège du dragueur de gare ne lui avait manifestement pas échappé, ne lui était manifestement pas inconnu, ne manquait manifestement pas de le rendre un peu nerveux.
C'était touchant, en fait. La souris en fut excessivement émue. C'était la première fois, vrai de vrai, qu'une personne extérieure semblait considérer un dragueur à la noix comme une nuisance, compatir avec la souris et lui proposer une aide. Même venant de quelqu'un dont c'était le métier que tout se passe bien dans cette salle d'attente, cette prévenance avait quelque chose de profondément rassurant.
Mais la souris gérait à mort, alors non, ça allait. Le dragueur de gare était ennuyeux certes, mais pas agressif – surtout un peu paumé. Elle continua donc à dîner tranquillement, réagissant de loin en loin aux paroles d'un dragueur à la masse, échangeant de temps en temps des sourires discrets et des regards de connivence pour rassurer le monsieur derrière la vitre qui revenait régulièrement vérifier que tout allait bien.
Mais, me direz-vous, comment ? Juger qu'un dragueur à la noix ce n'est "pas si grave", est-ce bien là une parole de souris ? Mais comment, ajouterez vous en faisant volte-face à la vitesse de l'éclair, la souris envisagerait-elle de collaborer avec l'Etat sécuritaire pour se débarrasser d'un pauvre type ? Oh oui, parfois même les souris ont du mal à joindre les deux bouts, entre le pacifisme forcené qui les fait renâcler à s'appuyer sur la force publique et la conscience aiguë que c'est grâce à cette hésitation, entre autres, que les dragueurs à la noix continuent aussi tranquillement leurs agissements pas vraiment sympathiques.
Bizarre sensation, donc, que de se sentir protéger un dragueur de l'expulsion tout en regrettant le moment de calme lecture interrompu par sa présence un peu lourde.
(à suivre)