Sur tes lèvres
Difficile d'éviter son regard.
La souris était pourtant plongée dans un bouquin fort intéressant sur les techniques de drague en milieu aristocratique en Angleterre au début du XIXe siècle. Mais difficile d'éviter son regard. Les yeux noirs, vifs, brillants, mobiles, il semblait vouloir à tout prix jouer à ce jeu qui fait si bien passer le temps dans les transports en commun, et ses regards lancés par-dessus la bordure du bouquin, ou par ricochet à l'aide de la vitre du wagon, sollicitaient la souris de toutes parts, la cernaient de fils tendus, l'obligeant finalement à lever la tête pour rencontrer, bien sûr, un gentil sourire, auquel elle aurait répondu, elle aussi, par un gentil sourire, avant de replonger dans son bouquin, pour relever la tête quelques instants plus tard, les mêmes causes produisant les mêmes effets, et échanger un autre gentil sourire timide comme des gens bien élevés qui partagent pour quelques minutes un carré de sièges dans le métro.
Et là, trois cas possibles, que je vous laisse soin de ranger par ordre de préférence.
Première possibilité : la conversation s'engage, et ce n'est pas pour draguer. Juste quelqu'un de convivial qui trouve que la souris a une bonne tête. On parlera de la qualité des revêtements plastiques dans les années 80, de dissonance cognitive, de l'éternel dilemme "parapluie ou menthe à l'eau?", bref tous sujets seyants à des personnes de bonne compagnie dans un wagon de métro. Le premier à atteindre sa station dira gentiment au revoir à l'autre et l'on ne se reverra plus jamais, mais c'était un bon moment.
Seconde possibilité : la conversation s'engage, et c'est pour draguer. Rapidement, il faudra dire que non, pas ce soir, non, pas le temps de boire un verre maintenant, non, pas de téléphone portable, non, pas de montre non plus, non, Nation c'est dans l'autre sens, oui, c'est mes yeux ça, non, vraiment, pas soif. Tous sujets très ennuyeux et fort négatifs, alors qu'on aurait pu, je ne sais pas, moi, parler de calcul stochastique. C'est vrai, quoi, les dragueurs de métro sous-estiment constamment la soif de connaissance des souris en matière de calcul stochastique.
Troisième possibilité : la conversation ne s'engage pas. On en reste à échanger des regards et des gentils sourires, en se disant que peut-être on pourrait engager la conversation, ce serait quand même plus poli et plus agréable pour tout le monde. Et finalement, c'est dommage. Parce que tout ça donne la fâcheuse impression que les seuls à oser entammer la conversation, dans le métro, ce sont les dragueurs à la noix. D'où méfiance des souris au moindre sourire, et imperméabilité renforcée, la souris parisienne étant déjà par nature pas mal imperméabilisée, parce que les gaz d'échappement qui se déposent sur les poils, ça fait glisser les gouttes de pluie.
Mais en fait, là, non.
Là, quand la souris a levé les yeux, elle a vu, effectivement, un gentil sourire. Mais au milieu de ce gentil sourire, là, entre les lèvres entrouvertes, sous les yeux malicieux, il y avait un bout de langue jovial et bien sorti.
Un gentil tirage de langue.
Les lèvres de la souris s'étirèrent un peu plus large en replongeant dans son bouquin, elle rougit un peu.
Nouveau jeu de regard, nouveau levé de nez souricier, nouveau gentil sourire, nouveau tirage de langue.
Et comme aucune parole ne fut, finalement, échangée, la souris ne sut jamais si c'était simplement sa façon naturelle de sourire, une nouvelle sorte de neg, ou bien une manière d'apporter à la journée un peu de dérision et de gaité gratuite.
La souris était pourtant plongée dans un bouquin fort intéressant sur les techniques de drague en milieu aristocratique en Angleterre au début du XIXe siècle. Mais difficile d'éviter son regard. Les yeux noirs, vifs, brillants, mobiles, il semblait vouloir à tout prix jouer à ce jeu qui fait si bien passer le temps dans les transports en commun, et ses regards lancés par-dessus la bordure du bouquin, ou par ricochet à l'aide de la vitre du wagon, sollicitaient la souris de toutes parts, la cernaient de fils tendus, l'obligeant finalement à lever la tête pour rencontrer, bien sûr, un gentil sourire, auquel elle aurait répondu, elle aussi, par un gentil sourire, avant de replonger dans son bouquin, pour relever la tête quelques instants plus tard, les mêmes causes produisant les mêmes effets, et échanger un autre gentil sourire timide comme des gens bien élevés qui partagent pour quelques minutes un carré de sièges dans le métro.
Et là, trois cas possibles, que je vous laisse soin de ranger par ordre de préférence.
Première possibilité : la conversation s'engage, et ce n'est pas pour draguer. Juste quelqu'un de convivial qui trouve que la souris a une bonne tête. On parlera de la qualité des revêtements plastiques dans les années 80, de dissonance cognitive, de l'éternel dilemme "parapluie ou menthe à l'eau?", bref tous sujets seyants à des personnes de bonne compagnie dans un wagon de métro. Le premier à atteindre sa station dira gentiment au revoir à l'autre et l'on ne se reverra plus jamais, mais c'était un bon moment.
Seconde possibilité : la conversation s'engage, et c'est pour draguer. Rapidement, il faudra dire que non, pas ce soir, non, pas le temps de boire un verre maintenant, non, pas de téléphone portable, non, pas de montre non plus, non, Nation c'est dans l'autre sens, oui, c'est mes yeux ça, non, vraiment, pas soif. Tous sujets très ennuyeux et fort négatifs, alors qu'on aurait pu, je ne sais pas, moi, parler de calcul stochastique. C'est vrai, quoi, les dragueurs de métro sous-estiment constamment la soif de connaissance des souris en matière de calcul stochastique.
Troisième possibilité : la conversation ne s'engage pas. On en reste à échanger des regards et des gentils sourires, en se disant que peut-être on pourrait engager la conversation, ce serait quand même plus poli et plus agréable pour tout le monde. Et finalement, c'est dommage. Parce que tout ça donne la fâcheuse impression que les seuls à oser entammer la conversation, dans le métro, ce sont les dragueurs à la noix. D'où méfiance des souris au moindre sourire, et imperméabilité renforcée, la souris parisienne étant déjà par nature pas mal imperméabilisée, parce que les gaz d'échappement qui se déposent sur les poils, ça fait glisser les gouttes de pluie.
Mais en fait, là, non.
Là, quand la souris a levé les yeux, elle a vu, effectivement, un gentil sourire. Mais au milieu de ce gentil sourire, là, entre les lèvres entrouvertes, sous les yeux malicieux, il y avait un bout de langue jovial et bien sorti.
Un gentil tirage de langue.
Les lèvres de la souris s'étirèrent un peu plus large en replongeant dans son bouquin, elle rougit un peu.
Nouveau jeu de regard, nouveau levé de nez souricier, nouveau gentil sourire, nouveau tirage de langue.
Et comme aucune parole ne fut, finalement, échangée, la souris ne sut jamais si c'était simplement sa façon naturelle de sourire, une nouvelle sorte de neg, ou bien une manière d'apporter à la journée un peu de dérision et de gaité gratuite.